Bleu abysse : entre mystère et convoitise

Il est toujours difficile de sentir nos univers intimes faire l’objet d’une actualité anxiogène quand elle s’approche trop près de ce qui nous fascine comme si ce trop plein de gloses et de mise en lumière devenait menaçant. On doit sortir de la torpeur du contemplatif , tapi au fond de ses alcôves d’alchimiste, car on laisse une forme de déni esthétique habiter nos songes. On écoute avec un intérêt parfois hésitant ceux qui alertent, artistes contemporains, militants, scientifiques. Pourtant ils sont nos phares pour l'avenir.

les mystères des profondeurs

C'est un livre aperçu lors d'une déambulation dans une librairie côtière. acquis dans la seconde où je l'ai vu dans sa belle couverture bleu brossé et ceint d'un bandeau rouge plein de promesses: "une fascinante déclaration d'amour à la mer et à ses merveilles": Mer intérieure de Christophe Ono-Dit-Biot ,bordé d'amour et de reconnaissances et presque en creux, de craintes délicates qui m'ont paradoxalement touchées plus que de coutume.

Plus je mets de bleu sur mes toiles, plus j’entends parler de ses profondeurs, mais pas en termes inoffensifs de coloriste émerveillée, hélas. Celles des mers et océans largement inexplorés, ont depuis toujours éveillé l'imagination des poètes, des scientifiques et des rêveurs. Au cœur de cette étendue mystérieuse se trouve l'abîme, un royaume d'un autre monde enveloppé de ténèbres et grouillant de mythes façonnés par la force des rêves et de l’imagination . De sirènes attirantes en monstres effrayants, ce monde bleu profond, fragile et envoûtant devient aujourd’hui le champ de bataille de la convoitise humaine qui cherche à exploiter ses trésors cachés.

Alors que nous plongeons plus profondément dans le 21e siècle, notre relation avec les abysses devient de plus en plus complexe . Cette ultime frontière comme la nomme Olivier Lascar dans son livre   édifiant, est aussi une zone inexplorée qui expose aux mauvais génies des convoitises et de l'égo. Bientôt les océans seront labourés par des socs que d’aucuns appellent triomphalement « nos besoins ».

Le désir humain de ressources

Si l'exploration des abysses révèle ses merveilles, elle dévoile simultanément l'énigme de la cupidité humaine. On estime que les profondeurs océaniques recèlent d'immenses réserves de minéraux, de terres rares et même de composés pharmaceutiques potentiels. Les récentes avancées technologiques ont ouvert la voie à l'exploitation minière sous-marine, une industrie que beaucoup considèrent comme une ruée vers l'or en devenir. Les entreprises sollicitent désormais activement des permis pour extraire les ressources des fonds marins, poussées par l'appât du gain et la demande incessante de nouveaux matériaux dans un monde avide de ressources. Cependant, cette quête conduit souvent à une dégradation de l'environnement caractérisée par la destruction des habitats et la perte de biodiversité. L'Autorité internationale des fonds marins (AIFM) s'efforce de réglementer ces activités tout en protégeant les écosystèmes fragiles qui restent largement inexplorés. L'équilibre entre l'exploitation des richesses des abysses et la préservation de leurs mystères continue de susciter de vifs débats parmi les scientifiques, les écologistes et les décideurs politiques.

Art et abysses 

Au-delà de ses attributs physiques, les abysses incarnent une riche mosaïque de symbolisme, de poésie et de spiritualité. L'eau d'un bleu profond a longtemps été une muse pour les écrivains et les artistes, symbolisant les profondeurs de l'expérience humaine – le voyage intérieur de la découverte, de la peur et de l'inconnu. Des poètes comme Samuel Taylor Coleridge et Pablo Neruda ont souvent établi des liens entre l'immensité de l'océan et les complexités de l'âme humaine. En littérature, l'abîme sert de métaphore à l'introspection et aux réflexions existentielles. Pour de nombreuses traditions spirituelles, l'eau est considérée comme un élément purificateur, une source de vie et un symbole de l'inconscient – l'abîme représentant les profondeurs de notre potentiel et de nos peurs. Debout sur le rivage, contemplant l'horizon apparemment infini, nous sommes confrontés non seulement aux mystères de l'océan, mais aussi à nos propres paysages intérieurs.

L'exploration des abysses transforme également le monde de l'art contemporain. Les artistes ont à confronter leur relation à la mer, suscitant des réflexions autour de l'impact humain sur les environnements marins et l'urgence de favoriser un lien plus profond avec nos océans. Lors de La biennale des arts et océans à Nice  cet été en marge de la conférence de l'ONU, plusieurs expositions de premier plan ont vu le jour, soulignant cette dualité des abysses : leur pouvoir de fascination, leur beauté et les périls qui les guettent. 

Mes coups de cœur : l'univers fascinant d' Anne Laure Wuillai, et les poétiques "reliques de l'écume" , sculptures céramiques de de Racca vammerisse 

 Naviguer dans des eaux complexes

Les abysses nous invitent à réfléchir à ce que signifie explorer et exploiter leurs profondeurs. Alors que les expositions et les discussions autour de ces sujets se multiplient, notre compréhension de l'océan doit évoluer pour honorer à la fois ses mystères et l'interdépendance de la vie qu'il englobe. En tant que gardiens de cette planète, la façon dont nous naviguons dans nos désirs pour la générosité des abysses peut redéfinir notre avenir. Adopter une approche plus respectueuse et durable est impératif, afin de permettre à l'humanité non seulement de se délecter du bleu et de la beauté des profondeurs de l'océan, mais aussi de protéger les secrets qu'elles recèlent. Dans ces eaux sombres se trouvent des leçons qui dépassent notre compréhension – des murmures à la fois de prudence et d'inspiration pour les générations à venir.